#11

"La fumée réfracte le groupe, si menu qu'il soit, en cohue toujours sur le point d'être trop nombreuse. Le tabac est opérateur de multitude."
Jean-Claude Milner
L'arrogance du présent, Regards sur une décennie : 1965-1975, 2009


l'agression



GINOUVES- Le monde serait sans doute plus pratique si l'on avait des mains à la place des pieds.

ORTAVANT- On peut dire n'importe quoi? Ouais ok j'me suis gouré mais on s'en fout.

GINOUVES- Tu vois tu te stimules intellectuellement à ton tour!

ORTAVANT- Mais sauras-tu te souvenir de qui me précédait?

GINOUVES- On me demande si t'es inoubliable?

ORTAVANT- Nan, est-ce que t'as une bonne mémoire?

GINOUVES- De quoi parlais-tu?

ORTAVANT- De sidération, mais pas au point d'évoquer la perte qui précède la possession.

GINOUVES- Que vient-on de vivre?

ORTAVANT- Des épreuves qui te feront peut-être te demander si tu n'aurais pas mieux fait de prendre des notes plutôt que d'essayer de te souvenir. Quoique tu ne laisses d'obérer.

GINOUVES- Tu veux savoir ce qu'on vient de vivre?

(temps de réflexion de Roland)

ORTAVANT- Vous voulez pas vous allonger? Si.

(temps)

GINOUVES- Que diras-tu de moi passée notre rencontre?

ORTAVANT- Aux gens?

GINOUVES- Que diras-tu de moi?

ORTAVANT- Je ferai une imitation.

GINOUVES- On ne voit pas les choses de la même manière.

ORTAVANT- C'est marrant je croyais que c'était toi.

(sur ce Roland se rapproche vraiment, débute une série de petits cris d'aise)

GINOUVES- T'es complétement excité.

ORTAVANT- Nan mais je me sens bien.

GINOUVES- Toi aussi qu'est-ce que t'es ouvert.

ORTAVANT- Et humide.

(temps long)

GINOUVES- Là.

(temps)

ORTAVANT- Ou là plutôt.

(Silence. Roland forme un signe à l'adresse de sa partenaire)

GINOUVES- Le trou?

ORTAVANT- Le trou de l'oreille.

GINOUVES- Tu as tout de même beaucoup changé.

ORTAVANT- Ce qui t'amène à faire évoluer tes positions?

GINOUVES- Je ne rends pas la monnaie.

ORTAVANT- En général?

GINOUVES- Chacun sur une plage qu'il connaît bien croit qu'il est chez lui.

ORTAVANT- Oui, je vois.

GINOUVES- C'est moche mais je peux aussi dire c'est beau.

ORTAVANT- Je vois je vois.

GINOUVES- T'es qui? Je ne suis personne jusqu'à ce que quelqu'un m'appelle.

ORTAVANT- Ecartez les lèvres.

GINOUVES (murmurante)- Lesquelles?

ORTAVANT (en même temps que quoi?)- On est que tous les deux? J'ai l'impression qu'on est plus.

GINOUVES- Je me cherche, viens m'aider.

(temps long)

ORTAVANT- On faisait pas semblant?

GINOUVES- Oh ces gros seins! Quel problème!

ORTAVANT- T'es où?

GINOUVES- Une fille se branle sur moi dans un bus.

(temps puis temps de nouveau)

ORTAVANT- Et alors moi aussi je te parle.

GINOUVES- Ahhhh. (temps) Ahhhh. Ahhhh. Ahhhh. (temps long, gémissements) J'suis en proie! (temps) Tu m'as entamé.

ORTAVANT- J'aime bien planter mon nez pour savoir où il est. Objectif: obtenir une bouche sans carries.

GINOUVES (dans un souffle) Fais-toi vomir...

(temps, fausses lamentations croissantes et graduées de Ginouves et d'Ortavant)

ORTAVANT- Je vois pas, je suis trop prêt.

GINOUVES- Ton visage ton visage! Montre-moi ton visage! Je veux bien me confesser, mais alors dans l'anonymat le plus total.

ORTAVANT- Vu que tu me connais pas c'est un peu un truc dans le vide…(temps, réflexion) Les bouts de doigts qui soulèvent un string trempé n’appartiennent à personne.

GINOUVES- Ca ne te gêne pas mes cheveux?

ORTAVANT- Ouais quand t'allais et venais le cul inerte.

GINOUVES- J’aime mes poils.

ORTAVANT (temps un peu gêné)- Sinon j'ai apporté des boissons.

GINOUVES- File du sprite au goulot.

ORTAVANT (dans des hurlements)- Attention ça coule sur toi.

GINOUVES- (dans les cris) J’ai envie de jouir sur cette table en verre. On baissera peut-être le chauffage? (dans les cris) Tu me fais perdre les eaux.

ORTAVANT (cris aigus)- Ah! C'est pas du sprite c'est du sang!

GINOUVES (braillements, vociférations, et prolongés)- Eh! Qu'est-ce que c'est?

ORTAVANT- Oh non! C'est une vraie boucherie. Tes doigts se déloquent. Tu t'es fait ronger la main comme s'il s'était agi d'un os.

GINOUVES- (affolée) Moi je veux bien empoigner la douleur, mais je ne vois pas bien en quoi ça consiste.

(Valérie perd un peu connaissance) (Elle entrouvre un oeil et se mouche dans rien.)

ORTAVANT- Ca va mieux? Oh! Tu veux que je te décrives? C'est négligeable, t'as la main ensanglantée, sanguinolente et quelque peu raclée mais a priori nul morceau ne pend! (temps) Néanmoins j'apprécierais que tu demeures tout aussi équidistante de moi que nous pûmes nous sentir proches par le passé.

(temps long)

GINOUVES- C'est ta chienne?

ORTAVANT- Pas trop vite. Si Stéphanie t'as mordu il doit y avoir une raison.

(temps de réflexion)

GINOUVES- Je croyais que c'était toi mais du coup ça change. Est-ce qu'on est engagés?

(temps long, silence)

ORTAVANT (qui se réajuste)- Ouff...

GINOUVES- Ah non tu peux pas fumer ici.

(Roland allume quand même une cigarette)

ORTAVANT- Alors ça va toi? A part la main... (temps)

GINOUVES- J'ai des gaz…. nan mais j'me demandais si… on a à peu près bouffé les mêmes trucs…

(temps long)

Tu m'as fait partager ta passion de l'autre et des rencontres.

ORTAVANT- Tu sais tu pourrais beaucoup plus en profiter. J'aime me sentir comme un berger isolé au sein d'une meute de louves.

(Valérie lui chuchote un truc)

GINOUVES- Ok?

ORTAVANT- Ah nan… J'ai cru que tu me disais d'aller boire de l'eau parce que je puais de la gueule…

GINOUVES- Tu me rends malheureuse mais tu m'as fait 100 % plaisir.

ORTAVANT- Reviens voir nan mais passe un t-shirt j'ai plein d'idées.

GINOUVES- Tu te tends un piège?

ORTAVANT- J'ai ma petite idée là-dessus... Au fait on a des médicaments si on veut faire une sieste dans un environnement érotique?

GINOUVES- Qu'on me file un manuel.

ORTAVANT- Attends je vais encore filmer un peu tes fesses.

GINOUVES- J'espère que je ne serai pas encore plus fatigué après la sieste...

ORTAVANT- Dors bien.

(sieste, temps très long, Roland se réveille brutalement)

Moi j’en ai tellement plus rien à foutre des autres que je fais vraiment ce que je veux.

GINOUVES- Quelle diligence!

ORTAVANT- Ca y est j'ai redormi écurie.

GINOUVES- Je me demande si les aveugles préfèrent le cuir, ou le bois…

ORTAVANT- J'ai l'impression d'avoir passé toute la nuit debout contre la cloison.

GINOUVES- Je suis heureuse. Je veux passer le reste de ma vie avec toi.

ORTAVANT- Pour mentir?

GINOUVES- Non, pas pour mentir. (temps) Pourquoi, au moment de l'éjaculation, le sperme jaillit-il en cascade? L'homme a tendance à éviter le sujet.

ORTAVANT- J'avoue que là mon coude, comme il est sur les trucs, c'est le top…

GINOUVES- J'ai faim j'ai faim!!

ORTAVANT- Pizza pizza pizza!!