#6
"C'est à la manière d'un tribunal que les corneilles se réunissent parfois autour d'un de leurs congénères.
Le cercle formé, elles croassent bruyamment, puis se jettent sur le malheureux pour le tuer.
Etrange phénomène: on ne sait encore s'il s'agit de l'élimination d'un oiseau atteint de
maladie contagieuse, ou celle d'un intrus."
Le Grand Fichier du Monde Animal, la Corneille (1974)
l'agression


GINOUVES- Moins tu cerneras ton identité plus la réalité te paraîtra irréelle.

(temps, ils marchent, ils se promènent)

XOUAL- Un petit conseil: "Si qui que ce soit te parle, répond toujours: "non merci"."

(Roland sort un carnet et griffonne)

MONDOLONI- Petit carnet? T'écris? C'est super ça!

ORTAVANT- Non... Pas vraiment... En fait je note l'heure qu'il est... J’aurais honte de ne pas savoir si on me demandait l’heure. Mais j'aime pas tellement me relire, je préfère lire quelqu'un d'autre. Ecrivez dedans si vous voulez.

MONDOLONI- Qu'est-ce que c'est tes références littéraires?

XOUAL (les trois parlent en même temps)- Tu t'es bien documenté?

ORTAVANT- Non.

(silence terrorisé de Xoual et Mondoloni)

XOUAL- Tu risques d'imploser en douceur.

ORTAVANT- On est évalué?

GINOUVES- L'évalation c'est préférer et exclure.

MONDOLONI (rassurante)- Regarde ce qu'on fait pour ensuite nous imiter.

ORTAVANT (gros accent marseillais)- S'il y a un contrôle?

XOUAL- Et bien...

MONDOLONI (le coupe)- Les mecs ne disposent pas de l'arsenal législatif suffisant.

(temps de réflexion)

ORTAVANT- Pourtant... si parmi les motivations de Roland l'un d'entre nous discernait le désir, fût-il imprononcé voire vague, de subir un de ces tabassages qui suivent la plupart des contrôles, de routine compris...?

MONDOLONI- Pardon je te coupe... Connais-tu le thème Roro?

ORTAVANT- Je préfère garder la surprise.

XOUAL- On est obligé de te le dire.

MONDOLONI- Demande-le.

ORTAVANT- Quel est le thème?

MONDOLONI- Joël... le thème?

ORTAVANT- Quel est le thème Joël?

XOUAL- Automutilation et domination.

MONDOLONI- Mmmm...

GINOUVES- Il s'agit de fréquenter d'autres gens pour pas faire que s'engueuler avec soi.

ORTAVANT- Intéressant. Autrement dit: besoin du réel et brutalité de la consolation?

MONDOLONI- Oui, le besoin de punir, humilier ou de s'abandonner. Quand toute gravité est emportée par une sorte d'arasement...

(temps)

Je suis excitée comme si on allait à une fête.

(temps)

ORTAVANT- Et pourquoi pas des thèmes abstraits, comme par exemple 'le désagréable"? Ce qui nous l'est, les gens qui le sont à force de chercher à montrer qu'ils ne le sont pas, les gens qui ne vivent que des choses agréables, les gens agréables?

GINOUVES (sans qu'on comprenne si elle est ironique)- Ah ouais! Ou sinon on pourrait organiser un spectacle de faux mendiants!

MONDOLONI (à Roland)- C'est un projet que tu pourras soumettre à l'avenir. Le nôtre n'est pas tel.

(temps)

XOUAL- Difficile d'expliquer ce qui est par ce qui n'est pas. Mais d'après une étude, cinquante pour cent de ce qu'on raconte à quelqu'un est mal interprété. Il est important de sentir qu'on a en nous le possible d'être quelqu'un d'autre.

MONDOLONI- L'idée serait de trouver la bonne question qui va avec la bonne réponse.

ORTAVANT- A quoi ça sert?

MONDOLONI- A réécrire une histoire vraisemblable conforme à ses souhaits que tu as pour devoir de porter à la variation. Qu'il n'y ait plus de mésententes, que des quiproquos. Hmmmpf... Tu n'y parviendras qu'à souffrir de demeurer le jouet des événements.

ORTAVANT- Je vois, c'est à celui d'entre nous qui ira le mieux, à qui aura le meilleur moral.

(temps, Roland réfléchit)

Mais quand est-ce que tout sera dénoué, qu'on se sera expliqué? Comment sera-t-on prévenu? On m'a dit que pour connaître l'avenir, il fallait mette une pyramide sous le lit et aussi du gros sel. Est-ce vrai?

MONDOLONI- Laissez les pyramides en Egypte et le gros sel dans la cuisine. Une double préoccupation nous agitera: nous concernant, comment on va, me concernant, où j'en suis. Tous les murs ont deux raisons d'être.

XOUAL- Il y a l'attente que tous les gens réunis par notre bon vouloir se retournent les uns contre les autres. Tu ressentiras comme une forme de vide ou d'angoisse. Un moi proche du rien, mais pas le rien, juste pas d'ambition particulière, ni état d'âme ni ressentiment.

(temps, puis dans la confidence)

Elisabeth suggère souvent que d'une agression pourrait surgir une part de la vérité de notre quête. Une vérité proche de la hantise d'une étendue avec laquelle l'esprit n'arriverait pas à composer. L'exact opposé de la quête de boucs émissaires afin de s'estimer pur par contraste.

(temps long, Roland réfléchit)

MONDOLONI- Tu commences par suivre Ginouves, Roland, elle te montrera comment t'habiller.

(puis d'une voix forte)

Au fait, dernière chose: "ya pas de putain, on baise à l'œil ici"!